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Histoire

Situé dans le Haut Taravo, sur la rive droite du fleuve Taravo qui se jette en mer vers Porto Pollo, le village de Cozzano se situe au pied du Col de Verde, dans le canton de Zicavo. Il est entouré, cerné serait-on tenté de dire ( le nom de Cozzano viendrait de Cuzza ou Cozza, qui signifie coin, le village se trouvant proprement coincé entre les territoires des villages alentours ) par les villages suivants : Palneca, Ciammanacce, Tasso, Sampolo, Giovicacce, Guitera Les Bains, Corrano, Zevaco.

A l’origine, il n’était qu’un hameau de Ciamanacce, ses habitants sont venus se réfugier sur la rive droite du fleuve, un peu en hauteur, l’endroit se montrant nettement plus sûr. Le village est extrêmement pauvre au 19ème siècle. Peu de terres communales et peu de terres cultivables, voilà qui explique les durs moments de la vie des villageois qui vivent essentiellement de l’élevage de leurs brebis et de leurs chèvres. En 1820, l’on compte pour une population de 600 habitants, 2670 brebis et 970 chèvres. Il est significatif de constater qu’à cette même époque, les 1000 habitants du village voisin Zicavo, pourtant bien mieux loti en terres et forêts – et notamment avec cet extraordinaire plateau du Coscionu – n’élèvent que 44 brebis et 133 chèvres. Palneca, autre village du canton, lui aussi dispose d’un vaste territoire de belles terres et de belles forêts de pins, de hêtres et de châtaigniers.

Il n’empêche que les cozzanais font preuve de responsabilité quand, parmi les doléances transmises à l’Assemblée des Etats de juridiction du 30 avril 1789 par l’assemblée générale de la communauté, ils n’hésitent pas à s’impliquer dans la recherche d’un mieux-être au bénéfice de toute la piève, et même au delà. En dehors des problèmes strictement locaux ( qui concernent le partage des territoires de la communauté dans le bas Taravo et l’octroi de fusils pour chasser le sanglier destructeur des champs et des récoltes ), l’on relève comme principales préoccupations le désenclavement de la piève par la construction de routes et de ponts, la lutte contres les inégalités, la nécessité d’une justice plus juste et plus rapide … déjà à l’époque, l’un des principaux reproches que le justiciable adresse à l’administration de la justice est sa lenteur !! Malgré la grande pauvreté de ses habitants, la communauté se refuse à vivre en autarcie et pense très justement que le bien être du village passe nécessairement par une ouverture sur les villages voisins dans un premier temps, sur les régions alentours ensuite. Ces mêmes doléances, plus étoffées, vont être à nouveau en avril 1829 soumise par la communauté au Préfet. Elle se plaint d’équipements précaires, l’Eglise vacillante est à consolider, un circuit de captage de l’eau est à aménager pour alimenter les deux fontaines du village où hommes et bêtes viennent s’abreuver, l’école avec ses quarante élèves manque de moyens, et la commune ne peut hélas assurer ces dépenses pourtant de première nécessité.

De même, tous les ponts du village en piteux état sont à reconstruire comme le pont Mazzo qui signifie  » pont fou  » sans doute en raison de la faiblesse de ses fondations. La communauté se plaint également du manque d’eau, ses cinq moulins à eau qui emploient cinq ouvriers et sert à la fabrication de toile, ne tournant que six mois par an. Le village définit ses limites avec les communautés voisines et ses habitants procèdent au partage des biens communaux situés dans la vallée. 180 lots d’égale valeur sont tirés au sort entre les 180 chefs de famille. L’administration tente bien d’éviter la revente des biens ainsi partagés en obligeant le revendeur à verser à la commune la moitié du prix de revente, mais le Conseil d’Etat annule cette décision en raison du droit perpétuel de propriété lié au bien légalement acquis et donc du libre droit du propriétaire de revendre son bien : les propriétaires d’un moment, les plus pauvres, les plus nombreux, vendent par nécessité leur part dans le partage aux plus riches, les moins nombreux assurément, les propriétés se trouvant ainsi concentrées entre les mains de quelques propriétaires, creusant de ce fait un peu plus le fossé entre gens aisés et pauvres.

Mais les préoccupations majeures des habitants du village sont d’abord d’améliorer la plantation et la culture du châtaignier – nécessité vitale ! -, ensuite d’exterminer … les chèvres. Il peut paraître surprenant et peu sérieux que les cozzanais élèvent au rang de priorité cette volonté d’éradiquer la race caprine. Mais, par manque de moyens financiers et par la mise en communauté des champs de labourage, les terres ne sont pas clôturées et la chèvre – ennemi public n° 1 – détruit arbustes et jeunes pousses. Ce pauvre animal inspire une telle haine qu’on l’accuse de toutes les maux, sécheresse, catastrophe naturelle … Les cozzanais sédentaires sont à l’époque des laboureurs et des éleveurs. Ils cultivent la pomme de terre, le haricot et bien sûr la châtaigne mais ces productions ne permettent pas d’assurer les besoins de la population – parallèlement la production de la châtaigneraie sur le territoire zicavais est excédentaire …. peut-être aurait-il été de bon goût que ces communautés voisines de 4 kilomètres seulement se portent mutuellement aide et assistance ! . Ils élèvent la brebis et le cochon dont ils tirent une extraordinaire charcuterie. Citons parmi ces sédentaires les familles Renucci, Pantalacci, Peretti, Quilicchini.

A côté des sédentaires estimés à l’époque à 310 habitants vivent 320 bergers au rythme immuable de la transhumance : en montagne en saison chaude, en plaine en saison froide. Issus pour la plupart des familles Mondoloni, Andreani et Cesari, ces bergers connaissent de très durs moments liés à la malaria qui sévit sur le littoral et à l’ostracisme des autorités locales lors de leur implantation dans les plaines du Fiumorbu (pour la famille Mondoloni ) ou du Taravo ( pour les familles Andreani et Cesari). Citons l’exclamation de haine du Maire de Fozzano envers les bergers cozzanais :

 » Ce ne sont que des pâtres et des laboureurs faisant partie de cette fourmilière ambulante et nomade originaire de Cozzano et de Palneca, qui n’ont jamais eu ni feu, ni lieu fixe, qui aujourd’hui s’attache à la glèbe d’un propriétaire, demain à celle d’un autre et qui ne prennent racine nulle part. S’il arrive parfois que la permanence dans une localité dépasse la période habituelle de quelques années, la coutume de notre contrée ne cesse pour ce de les considérer comme ils sont, comme ils ont constamment été, des types primitifs intrus et jamais identifiés avec la société dans laquelle ils vivent….« .

La violence de tels écrits laisse pantois ! Mais, intra muros, les deux groupes de villageois d’importance équivalente vivent en harmonie, et il arrive fréquemment que des unions soient célébrées entre membres distincts des deux groupes : il n’y a que les Renucci qui, dit-on, ne prennent jamais femme parmi les bergers…. Une mutation vers le milieu du 19ème siècle intervient.

Le nombre des bergers est réduit de moitié ainsi qu’il ressort d’un recensement effectuée en 1851, sans doute en raison des énormes difficultés qu’ils rencontrent pour s’implanter avec leurs bêtes en plaine. Parallèlement, les sédentaires augmentent : ils sont désormais 441. Les métiers exercés sont beaucoup plus diversifiés : l’on relève 2 fonctionnaires de gouvernement, 10 militaires, 2 pharmaciens, 1 instituteur, 1 curé, 2 gardes champêtres, 1 garde forestier, 1 marchand de bœufs, 1 marchand de lard, 1 revendeur de vins, 2 forgerons, 1 cordonnier, 1 menuisier … une évolution certaine se dessine, les villageois commencent à instaurer un véritable commerce, d’ailleurs certains d’entre eux n’hésitent à braver les difficiles routes et chemins pour aller vendre leurs productions sur les marchés à Ajaccio et Bastia. Mais ne nous leurrons pas !

Enfin un travail rémunéré pour les cozzanais ! Le recensement réalisé en 1881 confirme cette évolution bénéfique. La population fait un bond de 40 % avec 889 habitants – Zicavo en compte alors 1484 -. Les activités professionnelles, pour certaines tournées vers le commerce, se diversifient encore davantage : à côté des 9 entrepreneurs et 15 ouvriers – travaux de voirie obligent -, on note 1 maçon, 3 charretiers, 9 marchandes, 6 tonneliers alors qu’il n’y a pas de vignobles, 2 tenanciers de bar, 4 gendarmes et 6 étudiants, 1 chef cantonnier et 4 cantonniers pour l’entretien des routes, 1 médecin … La communauté relève donc un peu la tête, la pauvreté ne touche plus que la moitié du village. Et l’ignorance recule en raison des progrès réalisés en matière d’instruction : 83 % des hommes, 68 % des femmes en 1881 savent lire et écrire en français !

D’autres signes de progrès sont notables. Le service du cadastre est mis en place en 1882, permettant à la population locale, parfois bien chaude, d’éviter d’éventuels conflits majeurs sur l’appropriation de telle ou telle parcelle de terre. Des systèmes d’acheminement de l’eau sont réalisés à l’usage de tous les habitants du village, la répartition en eau des villageois laboureurs étant réglée par décision municipale. Avec l’avènement du suffrage universel, les habitants de la communauté s’impliquent davantage dans la politique locale, ce qui est un signe de bonne santé somme toute, avec cette constatation surprenante : la contestation des élections est à l’époque la règle et très rares sont les élections municipales dont les résultats proclamés ne font pas l’objet d’un recours en annulation devant les juridictions administratives. Le cozzanais n’aime pas perdre ! En définitive, une première moitié de siècle dominée par une très grande pauvreté. Une seconde moitié qui permet de sentir les premiers prémices d’un renouveau, en grande partie en raison du désenclavement du village. L’action de l’Etat a été ici bénéfique, sachons rendre à César ce qui lui appartient. N’oublions cependant jamais la rapine de ce même Etat portant sur les forêts cozzanaises : sur les 830 hectares dont la communauté est propriétaire début 19ème, elle ne détient plus en 1851-1852, au lendemain de la transaction Blondel, que 445 ha ; l’Etat dans sa toute puissance s’est emparé des 422 ha restants ( forêts de hêtre, de châtaigniers et surtout de pins Lariccio, cet extraordinaire arbre, droit comme un i, atteignant une hauteur impressionnante – 40 mètres ne lui font pas peur -, utilisé notamment pour les constructions navales ).

Le Xxème siècle est là. Mais la population du village augmente, donnant au village des forces vives. Les progrès de la médecine y sont pour beaucoup avec une baisse considérable de la mortalité infantile. Voici des chiffres qui donnent froid dans le dos : de 1875 à 1894, 340 décès sont dénombrés dans le village, dont 84 bébés de moins de un an et 69 enfants de 1 à 6 ans … monstruosité de la nature ! De 1920 à 1934, 144 décès dont 18 bébés de moins de un an et 12 de un à six ans. Plus de naissances que de décès donc, ce qui est heureux compte tenu du lourd tribu payé par le village lors de l’effroyable guerre 14-18. 30 jeunes cozzanais y sont fauchés. Folie de l’homme !

« En définitive, une première moitié de siècle dominée par une très grande pauvreté. Une seconde moitié qui permet de sentir les premiers prémices d’un renouveau, en grande partie en raison du désenclavement du village. »

Durant ces heures bien sombres, le village s’entraide, il se serre les coudes et n’oublie pas ses pauvres, ce qui est tout à son honneur. La municipalité met en place des aides sociales aux familles le plus dans le besoin, ce sont des allocations, des secours que vote le Conseil Municipal au bénéfice des gens les plus démunis ; l’essentiel de l’activité des élus communaux est de courir le village à la rencontre de ces pauvres gens pour chercher à leur venir dignement en aide. Une véritable école se construit enfin, alors que, dans un passé récent, l’instituteur faisait encore classe chez l’habitant moyennant un loyer qui ne lui était toujours pas payé. Une véritable méthode d’instruction est suivie, parfois bien trop sévère, mais il faut bien faire comprendre aux enfants que l’école est prioritaire sur les travaux des champs : à force de recevoir des coups de règle sur leurs doigts meurtris, sans doute l’ont-ils assez rapidement compris … ! La fée électricité arrive dans le village en 1932, un établissement postal s’ouvre en 1930. Le village a enfin accès au progrès. Tout n’a pas été parfait dans ce progrès. Comparons la population du village en 1881 qui est de 889 habitants à celle de maintenant qui n’est plus que de 200 habitants environ ! Il existe bien sûr mille et une raisons à cette désaffection, parmi lesquelles le sous-équipement des villages de montagne et le manque de travail pour la jeunesse locale, et il serait étonnant que le village connaisse dans un futur proche des pics de population comme il les a connus dans les années antérieures. Il demeure cependant – c’est un avis quasi unanime des habitants du village – qu’il y fait bon vivre. Le village compte actuellement quelques entrepreneurs ( entreprise d’adduction d’eau, de maçonnerie ).

Les éleveurs de cochon y connaissent prospérité. Pour m’être rassasié de coppa, lonzo, prisuttu et autres salami ou valetta, je peux vous certifier – je lève la main droite et je le jure ! – que la charcuterie cozzanaise est fameuse. Sans doute en raison de quelques petits secrets de fabrication que je ne vous révèlerai pas, sans doute aussi en raison de l’emplacement privilégié du village situé dans le courant d’air descendant du Col de Verde qui sèche parfaitement les produits finis. Plaise à nos gouvernements que les règles européennes ne soient pas trop contraignantes pour ces petits éleveurs si l’on souhaite ne pas les voir disparaître. N’oublions pas enfin l’activité liée au tourisme qui connaît un bond depuis quelques années : le GR 20, chemin de grande randonnée, longe la crête des montagnes dominant le village et des gîtes d’étape accueillent le marcheur épuisé en toute amitié et en toute simplicité.

On lui racontera alors peut-être lors de veillées dans la douceur d’un feu de cheminée quelques histoires vraies de fantômes. Des histoires de moghi qui, noyés dans l’obscurité, enlèvent les enfants lorsqu’ils n’obéissent pas à leurs parents. Des histoires de spirdi que vous rencontrerez sous l’apparence d’un chien aux couleurs diaphanes : surtout évitez qu’il vous suive de peur qu’il ne vous assène un violent coup et priez le Seigneur qu’il ne s’enfuie pas en direction du fleuve, lieu de tous les dangers ! Des histoires de mazzeri cozzanais qui, annonciateur de mort prochaine, combattaient ceux de Ghisoni à grands coups d’asphodèle au col de Verde, le vainqueur assurant la prospérité du village dont il portait les couleurs ( en 1930, le village comptait 4 à 5 mazzeri …. Combien sont-ils aujourd’hui ? ) On invitera ce même touriste s’il se rend dans ce petit village à Pâques à déguster le caccaveddu, sorte de pain brioché en forme de couronne garni de 3 à 6 œufs. On l’invitera à participer aux festoyades du 15 juillet ( la Saint Henri ) qui est la fête du village avec procession, jeux pour enfants et grands. On le conduira aux pèlerinages de Saint Antoine le 28 juillet en pleine forêt de Marmano et de Saint Pierre le 2 août sur le plateau du Coscionu. On le conduira enfin taquiner la truite dans les ondes bleutées du Taravo, mais çà, c’est une toute autre histoire ….

Pour l’accademia corsa Charles CICCOLINI Décembre 2002

Post Scriptum : l’auteur de cette petite causerie s’est attaché à faire un résumé de l’ouvrage ( intitulé « Histoire de COZZANO 1800 – 1935  » ) de Félix CICCOLINI, originaire de Cozzano.

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